Le point sur le télétravail
1. Quels sont les textes qui encadrent le télétravail?
– le Code du travail : article L 1222 – 9 à L 1222 – 11
– l'accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 19 juillet 2005 étendu par arrêté du 30 mai 2006 applicable à toutes les entreprises qui appartiennent à un secteur professionnel représenté par les organisations patronales signataires que sont le MEDEF, l'ex-CGPME devenu CPME, et ex-UPA devenu U2P
– Un nouvel accord, ANI du 26 novembre 2020, conçu comme « un outil d'aide au dialogue social et un appui à la négociation pour favoriser la mise en œuvre réussie du télétravail », mais qui ne constitue pas un instrument contraignant.
Il vient d’être étendu par un arrêté du 2 avril 2021 publié au JO le 3 avril.
Il est donc aussi applicable dans toutes les entreprises appartenant à un secteur professionnel représenté par les organisations patronales signataires (Medef, CPME et U2P).
Attention si un accord d'entreprise ou assimilé (établissement, groupe, inter-entreprises) traite du même sujet et comporte des clauses mêmes moins favorables mais ayant le même objet, il s'appliquera en vertu de la règle de primauté prévue par l'article L. 2253 – 3 du code du travail.
De même, un accord de branche ou un accord professionnel sur le télétravail peut faire obstacle à l'application de l’ANI de 2005 même clause moins favorable, sauf concernant certains points expressément prévus à l'accord à son article 12.
2. Comment mettre en place le télétravail ?
Un avenant n'est pas obligatoire si le télétravail n'a pas été prévu dès l'embauche (article 2.3.1 ANI 2020)
La jurisprudence aura certainement l'occasion de préciser dans les mois qui viennent quelles sont les activités qui pouvaient être légitimement télétravaillées en même temps qu’elle se prononcera sur les refus des salariés qui ont refusé ou n’ont pas déféré à l'obligation de mettre en place du télétravail en particulier à l'occasion du deuxième confinement de novembre 2020.
3. Puis-je refuser le télétravail ?
Il convient de distinguer selon la période : période de circonstances exceptionnelles, comme nous le sommes actuellement en période de crise sanitaire, et en dehors de ces circonstances.
Les circonstances exceptionnelles étaient déjà définies avant la crise du coronavirus par l'article L. 1222 –11 du code du travail comme un motif permettant le recours au télétravail pour la continuité de l’activité de l’entreprise.
Cf., « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ».
En dehors de ces circonstances exceptionnelles, l'accord du 26 novembre 2020 rappelle que le principe reste celui du double volontariat (employeurs et salariés).
Par conséquent, hors circonstances exceptionnelle, le télétravail ne peut être imposé au salarié qui le refuse si celui-ci n’avait pas été prévu dès l’origine dans son contrat de travail comme une modalité d’exercice du contrat.
4. Quelles sont les règles applicables pendant le télétravail ?
Dans le doute et en cas de grand flou à ce sujet, vous pouvez vous appuyer sur l’article 2 de l’ANI de 2005 qui précise que l’employeur « fournit par écrit » au télétravailleur l’ensemble des informations relatives aux conditions d’exécution du travail.
L’ANI du 26 novembre 2020 rappelle ce principe en indiquant que si le télétravail est régulier, le salarié est informé par écrit des conditions de mobilisation et de mise en œuvre de cette forme de travail. Cette information peut porter sur :
– le cadre collectif existant
– les pratiques : le rattachement hiérarchique, les modalités d'évaluation de la charge de travail et les modalités de compte rendu et de liaison avec l'employeur.
– Les équipements (règles d'utilisation, coût…)
– la prise en charge des frais professionnels.
Cf., ANI 2020 article 2.3.2
5. Quels sont mes droits en télétravail en matière de durée du travail et de repos ?
Le salarié a les mêmes droits s'agissant :
- de la durée du travail
- du repos.
- du respect au droit à la déconnexion de la vie privée.
Vous avez donc droit à votre pause déjeuner et selon le régime horaire qui est prévu à votre contrat de travail (horaires définis ou non et/ou renvoi à la durée hebdomadaire de travail), c’est la même durée qui s’applique qu’une journée de travail sur site.
6. Que peut mettre en place l’employeur pour contrôler ce temps de travail ?
Selon l’ANI de novembre 2020, l’employeur fixe en concertation avec le salarié les plages horaires durant lesquelles l'employeur peut contacter le salarié.
Le ministère du travail a précisé que la distinction entre temps de travail et temps de repos doit être claire et garantir le droit à la déconnexion des salariés.
Conformément à la jurisprudence en matière, les deux ANI rappellent que les moyens de contrôle doivent être :
- justifiés par la nature des tâches à accomplir
- proportionnels au but recherché
- notifiés au salarié.
Tout dispositif spécifique qui serait mis en place nécessiterait le respect de deux conditions supplémentaires cumulatives : le CSE doit être consulté préalablement et les salariés doivent être informés.
7. Suis-je obligée d'activer ma caméra lors d'une réunion en visio ?
NON sauf conditions particulières. La CNIL (commission nationale de l'informatique et des libertés) a recommandé aux employeurs de ne pas imposer l'activation de leur caméra aux salariés en télétravail qui participent en visioconférence.
Il s'agit d'une application d'un principe rappelé et consacré par le RGPD de « minimisation des données » selon lesquelles les données traitées doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées or, dans la plupart des cas, une participation via micro est suffisante.
Un salarié doit donc pouvoir refuser la diffusion son image lors d'une visioconférence en mettant en avant les raisons tenant sa situation particulière.
A l'inverse, si l'employeur justifie de circonstances très particulières. Il peut exiger que la visioconférence soit faite à visage découvert.
8. Je craque en télétravail : quelles sont les obligations de l’employeur à mon égard ?
L’ANI de 2005 rappelait déjà dans son article 8 que les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et la sécurité du travail au travail sont applicables au télétravailleur ce qui oblige l’employeur à veiller à leur respect.
L’ANI conclu en novembre 2020 va plus loin en soulignant l’importance de prendre en compte cette forme particulière de travail dans le cadre de l'analyse des risques requise par l'article L. 4121– 1 du code du travail qui oblige l'employeur à transcrire les résultats de cette évaluation dans le document unique d'évaluation des risques (DUER).
Concrètement ce travail d'évaluation oblige l'employeur à envisager les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés dans l'exercice de leur travail.
En faisant ce travail d'analyse, l'employeur s'oblige à définir des mesures préventives de destinées à réduire précisément les risques allants de la simple blessure aux risques les plus graves rencontrées sur le lieu du travail.
L’ANI de novembre 2020 désigne notamment les risque « liés à l’éloignement du salarié de la communauté de travail et à la régulation de l’usage des outils numériques. »
Assurément après la crise du covid, les documents uniques d'évaluation des risques devront immanquablement inclure cette évaluation au regard des conditions particulières du télétravail et de nouveaux risques induits par cette pratique professionnelle.
On pense aux risques physiques qui peuvent être liés à une mauvaise installation professionnelle (écran trop petit, chaise inadaptée, etc.) et pose des questions d'ergonomie, mais également aux risques psychosociaux (perte de lien avec les collègues, sentiment d'épuisement, dépression, burnout, etc.).
À noter d'ailleurs que l'ANI du 26 novembre 2020 rappelle qu'il existe une présomption légale d'accident du travail en cas de télétravail tout en soulignant les difficultés de mise en œuvre pratique de cette présomption.
9. Je suis en télétravail, mon manager est dépassé : il me harcèle de messages ou d’appels téléphoniques ou à l’inverse me laisse en roue libre. Que puis-je lui répondre ?
Vous pouvez indiquer à votre supérieur hiérarchique que l'ANI du 28 février 2020 (conclu avant la crise) portant diverses orientations pour les cadres rappelle que le postulat fondamental du télétravail doit reposer sur une relation de confiance entre responsable et chaque salarié en télétravail et l'existence de deux aptitudes complémentaires qui sont l'autonomie et la responsabilité nécessaire au travail.
Les partenaires sociaux signataires de l’Accord du 26 novembre 2020 rappellent que la mise en œuvre réussie du télétravail se traduit par des règles d’organisation claires afin « d’assurer le fonctionnement de la communauté de travail et de fixer un cadre au sein duquel les collaborateurs peuvent évoluer de la manière la plus autonome possible. »
S’agissant du manager, on l’incite à définir « des objectifs clairs » ce qui peut faciliter le management à distance.
Les partenaires sociaux ont également insisté sur la formation de ces managers à ces nouveaux modes de travail : ils invitent les employeurs à proposer des formations sur les conséquences de cette organisation du travail (séquençage de la journée, respect du cadre légal à la durée du travail et à la déconnexion) et aux outils de travail à distance.
Ils invitent enfin à tenir compte des situations particulières en visant les nouveaux embauchés, les alternants, les salariés en situation de handicap et se présentant des problèmes de santé, les aidants familiaux ou les salariés en situation de fragilité (ANI 4.1, 4.2 ,4.3)
10. Puis-je prétendre à la prise en charge de mon titre de transport alors que je j'ai travaillé tous les mois écoulés à mon domicile ?
Le ministère du travail est rappelé que l'employeur doit prendre en charge 50 % du prix des titres d'abonnements souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail.
Par conséquent, le salarié qui n'utilise pas les transports parce que son domicile, du permis de faire un trajet à pied ou parce qu'il utilise un véhicule personnel n'est pas éligible à la prise en charge.
Cette obligation de prise en charge s'applique lorsque le télétravail s'effectue en alternance.
En revanche, lorsque le salarié placé en situation de télétravail à domicile en continu sur le mois de la semaine, il n'y a pas de prise en charge puisque le salarié n'a eu à effectuer aucun trajet entre son domicile et son travail au moyen de son abonnement de transport pendant la période considérée.
À noter que le ministère du travail a quand même invité les employeurs de maintenir la prise en charge partielle des abonnements transport pour les salariés qui sont titulaires d'un abonnement annuel qui n'ont pas pu procéder la suspension de leur contrat d'abonnement pour le mois non utilisé, et ont donc supporté son coût.
11. Quid des tickets restaurants ?
Voici une question qui est déjà largement commentée depuis plusieurs décisions de justice rendues se contredisant.
Le ministère du travail (QR ministère du travail, 25 mars 2021) a rappelé que si le titre restaurant n’est pas une obligation légale, son attribution aux télétravailleurs est possible si le repas du salarié compris dans son arrêt de travail journalier, en application du principe général d'égalité de traitement entre les salariés.
Les télétravailleurs doivent donc aussi recevoir des titre restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes.
L’URSSAF avait exprimé une position similaire sur son site Internet depuis le 8 septembre 2015.
Toutefois, à partir du moment où cette faculté d'octroyer des titre restaurant ne constitue pas une obligation légale, l'employeur la possibilité de conditionner cet avantage à certains critères, sous réserve qu'il soit objectif, c'est-à-dire qu'ils doivent s'appliquer autant au télétravailleur aux salariés travaillant dans l'entreprise.
Il a été ainsi jugé que l'employeur peut différencier l'attribution des titres repas en fonction de l'éloignement du travail par rapport au domicile puisque cette différenciation est bien fondée sur un critère objectif (en l’espèce la distance séparant le lieu du travail du domicile).
Maintenant, peut-on différencier leur attribution suivant que le salarié est ou non en télétravail ?
Le tribunal judiciaire de Nanterre a jugé le 10 mars 2021 que le défaut de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile devait conduire à considérer que les télétravailleurs n'étaient pas dans une situation comparable à celle des salariés travaillant sur site du restaurant d'entreprise de sorte qu'il n'était pas fondé à bénéficier assez de ces titres restaurants.
A l’inverse, le tribunal judiciaire de Paris a jugé dans un sens contraire en rappelant que le droit au titre restaurant est ouvert au télétravailleur pour chaque jour travaillé durant lequel le repas est compris dans leurs horaires de travail journalier.
La cour d'Appel de Versailles doit se prononcer sur le jugement rendu par le TJ de Nanterre et rendra une décision qui sera attentivement étudiée.